YouTube et la vulgarisation scientifique

Par Tristan Boussard, Baptiste Gautier et Cédric Ollivier

Figure1. Extrait de: YouTube is reinventing science education

La vulgarisation sur Internet

Depuis l’annonce publique du World Wide Web en 1990, le taux de pénétration d’Internet ne cesse de croître. Les populations européennes, américaines et asiatiques ont presque toutes accès à Internet et seul le continent africain a, pour l’instant, des difficultés à développer ses infrastructures d’accès au web. [5]
Aujourd’hui YouTube est le deuxième site web le plus visité au monde derrière Google (sa maison mère) et d’après les données de alexa.com de Amazon, YouTube est le deuxième moteur de recherche le plus au monde. [7]
Les chiffres nous montrent aussi que la jeune génération passe de plus en plus de temps à consommer des vidéos en ligne. Les enfants américains passent ainsi un peu plus d’une heure par jour à regarder des vidéos en ligne avec 37% de ce temps passé sur YouTube. [11] [13]

YouTube ayant été créé en 2005 son histoire est bien souvent le reflet de l’histoire d’Internet. Il est donc intéressant de noter que quasiment dès ces début, la plateforme a été utilisée comme un espace d’échange de savoirs au travers de chaînes de vulgarisation scientifique. On citera par exemple les chaînes Khan Academy (créée en 2006) ou SmarterEveryDay (créée en 2007). Partant de ce constat et du développement du secteur de la ed-tech, Google et YouTube ont la volonté d’être crédible en temp que plateformes éducatives entre autre avec YouTube Learning et Google for Éducation. [12]

On peut donc légitimement se demander quel est l’état de la vulgarisation scientifique sur YouTube aujourd’hui.

C’est quoi la vulgarisation?

La vulgarisation une forme de diffusion pédagogique des connaissances qui cherche à mettre le savoir, et éventuellement les limites et incertitudes de ce savoir, à portée d’un public non expert. [14] Globalement, le consensus des spécialistes de l’éducation et de la ed-tech est que la vulgarisation notamment par support vidéo est devenue un élément primordiale de l’enseignement du 21ème siècle. La vidéo est sert ainsi de suppléments de cours traditionnels, elle est à la base des MOOCs et de manière générale est toujours un bon moyen d’attiser la curiosité du public sur des sujets parfois complexes. [1] [2] [3]
Malgré cela, la communauté scientifique à toujours été partagée quant à la vulgarisation. Daniel Jacobi, universitaire français ayant consacré plusieurs essais à la thématique de la démocratisation des sciences, rappelle que deux tendances s’opposent à propos de la vulgarisation. D’un côté, la vulgarisation serait la seule chose capable de contribuer à diffuser la culture scientifique auprès du plus grand nombre, de l’autre, on lui reproche d’appauvrir, de simplifier et de dénaturer la science qu’elle prétend faire connaître. [15]
Il conviendra à chacun de se positionner sur ce sujet.

Une myriade de vulgarisateurs

Quoi qu’il en soit, les grandes instances s’intéressent au développement de la vulgarisation scientifique sur Internet. En 2018 le Ministère de la Culture français recensait 350 chaînes YouTube de vulgarisation francophone sur à peu près toutes les thématiques: Histoire, Géopolitique, Mathématiques, Physique, Biologie, Technologies et informatique, etc.
Le fait est qu’aux côtés de vulgarisateurs professionnels comme Florence Porcel (astronomie) ou Léo Grasset (biologie), le YouTube francophone jouit d’une constellation de vidéastes scientifiques diplômés dans leur domaine ou amateurs passionnés. Nous reviendrons plus en détail ci-après sur la notion d’amateur dans le monde de la vulgarisation. [1]
A ces vidéastes en solo s’ajoute aussi des chaînes YouTube de vulgarisation soutenues par des institutions prestigieuses comme le MIT, TED-ed ou PBS.

Le paysage de la vulgarisation sur Youtube est donc immense et un internaute qui souhaiterait s’y aventurer dans un but d’apprentissage devra donc identifier les chaînes à vocation pédagogique ou récréatives, les chaînes qui utilisent des sources pertinentes et qui les citent et celles qui ne le font pas. La transparence du créateur est donc le maître mot mais d’autres métriques comme le nombre de vues, le nombre d’abonnés ou les discussions dans les commentaires peuvent aussi être des indications de la qualité d’une chaîne (bien que pas forcément pertinent). [2] [6] [10]

Professionnels et amateurs

Revenons sur les différences de perception entre les vulgarisateurs professionnels et amateurs. Car avec l’apparition du Web 2.0, l’utilisateur lambda a pu véritablement devenir un acteur du Web. L’une des figures majeures de l’internaute actif est incarnée par le pro-am, le professionnel-amateur. Celui-ci est parvenu à se réapproprier des sphères traditionnellement dévolues aux professionnels. Un des exemples les plus flagrants de ce changement est Wikipedia qui illustre la modification du rapport au savoir depuis le début du 21ème siècle. Le pro-am ne remplace pas l’expert en soi, mais occupe l’espace laissé vacant entre le profane et le spécialiste. [6]
Sur YouTube cette différence entre le pro-am et le professionnel est nommée par les acronymes anglais PGC (Professionally Generated Content) et UGC (User Generated Content). [10]
Quelques études se sont intéressés aux différences entre le PGC et le UGC de vulgarisation sur Youtube. Ainsi comme le montre la Figure 1 extraite de de D. J. Welbourne et W. J. Grant [10], le nombre de vidéos postées par les chaînes de PGC est en moyenne plus important que pour UGC. Cela étant probablement dû aux moyens financiers et humains dont disposent les chaînes de PGC. Par contre, la confiance des spectateurs se dirige majoritairement vers le contenu des pro-ams car les chaînes de UGC ont en moyenne plus de vues et d’abonnés que les chaînes de PGC.
On constate donc une sorte de manque de confiance envers le contenu des experts et une identification plus grande des spectateurs aux youtubeurs pro-ams.

Figure 2. Directement extrait de [10].

La place des femmes

Cette domination des pro-ams sur le PGC n’est pas forcément un mal en soi, car on peut se dire que les pro-ams, étant issus du grand public, seraient peut-être plus à même de représenter la population dans sa diversité que le monde scientifique ne l’est parfois.
Pourtant il n’en est rien et pire le monde de la vulgarisation scientifique sur YouTube semble même reproduire les inégalités de la communauté scientifique, notamment en ce qui concerne la représentation des femmes. Ainsi, d’après l’étude de I. Amarasekara et W. J. Grant [4], présentant des statistiques sur un échantillon de 391 chaînes représentatives de la communauté de vulgarisation scientifique sur YouTube, seul 13% des chaînes YouTube sont présentées par des femmes et ces dernières brassent moins de 5% des vues. Pourtant, en étudiant les commentaires des vidéos, l’étude montre qu’elles reçoivent plus de commentaires positifs que les hommes. Mais parallèlement à cela, elles reçoivent près de 3 fois plus de commentaires sexistes et hostiles que les hommes et 2 fois plus de critiques que leurs homologues masculins.
Les causes de cette sous-représentation des femmes sont multiples et les conséquences de cette dernière aussi, mais il serait bon de se demander si les commentaires insultants postés anonymement sur Internet n’ont pas un effet dissuasif sur les femmes qui voudraient s’exprimer en ligne.

Figure 3. Directement extrait de [4].
Figure 4. Directement extrait de [4].

Une vidéo efficace: théorie et pratique

Comme évoqué précédemment, il existe une impressionnante diversité de vidéos de vulgarisation sur YouTube. Une équipe pédagogique qui souhaiterait inclure des vidéos de ce type dans un cours devrait donc choisir avec soins celles-ci.
C. Brame [3] présente ainsi quelques critères pour choisir ou faire une vidéo de vulgarisation efficace sur le web. Par exemple, des vidéos courtes de moins de 10 minutes permettant de mieux capter l’attention des spectateurs. Il s’agit aussi de sélectionner et mettre en évidence les concepts important du sujet et d’utiliser de façon complémentaire des éléments audios et visuels pour mieux les expliquer. Évidemment, la réalité d’Internet fait qu’il est préférable d’utiliser un style conversationnel et enthousiaste pour instaurer une relation de confiance avec le spectateur. Enfin, et dans l’idéal, les vidéos doivent être intégrées dans un contexte d’apprentissage actif pour un meilleur résultat pédagogique. [16]
Mais en pratique les vidéastes scientifiques sur YouTube évoluent dans un environnement dont ils ne maîtrisent pas les paramètres. Si ils veulent faire des meilleurs résultats ils doivent s’adapter à l’algorithme YouTube. Les caractéristiques privilégiées par l’algorithme YouTube ne sont pas toujours rendues publiques mais on peut les inférer grâce à l’expérience des créateurs sur la plateforme. Par exemple, les vidéos au ton léger sont plus facilement mises en avant et notamment les contenus “clickbait” (“putaclic” en français) qui sont efficaces pour attirer le chaland. Pendant longtemps les vidéos courtes étaient aussi plus mises en avant, mais il semblerait que cela commence à changer car YouTube cherche à fidéliser ses audiences avec du contenu plus long.
Les exigences de l’algorithme Youtube ne sont pas forcément incompatibles avec l’élaboration de vidéos de vulgarisation mais cela nécessite souvent une certaine adaptation si le vidéaste souhaite mettre son travail en avant. Le vulgarisateur professionnel australien Derek Muller de la chaîne Veritasium à réalisé une excellente vidéo sur comment et pourquoi une de ces vidéos, somme toute banale par rapport à son travail habituel, à été mise en avant par l’algorithme et a “buzzée”. [9]
On évoquera enfin le problème de la démonétisation. YouTube souhaitant se rendre le plus adapté possible aux annonceurs publicitaires, les vidéos contenant certains termes sont démonétisée. Ainsi, un vidéaste qui voudrait faire une vidéo sur un sujet sombre de l’Histoire verrait sûrement sa vidéo démonétisée et ne récupèrerait donc pas d’argent sur son travail. [8]

En conclusion

La vidéo est devenue un support pédagogique de plus en plus utilisé avec la démocratisation du web. Les spécialistes du sujet sont généralement d’accord pour dire que la vidéo de vulgarisation scientifique est un bon format pédagogique de diffusion du savoir et particulièrement si elle s’inscrit dans un contexte d’apprentissage actif.
YouTube est depuis longtemps un espace d’échange de connaissance et sa position de mastodonte d’Internet en fait une plateforme pertinente pour le partage de vidéos de vulgarisation.
Cependant, le nombre et la diversité des vidéos et de leurs qualités fait qu’il peut être difficile pour l’utilisateur de se repérer dans la massa de vidéos.
Enfin la réalité de l’algorithme YouTube est parfois incompatible avec une volonté de transmission du savoir scientifique. D’autant plus avec un algorithme changeant qui rend donc plus difficile l’élaboration d’un modèle économique efficace pour les youtubeurs.

Sources

[1] M. Hutin, « YouTube à l’école ! Les chaînes YouTube culturelles et scientifiques francophones », p. 65, 2018.
[2] A.-S. Magnant, « Chaînes de science sur YouTube : sont-elles un outil de vulgarisation scientifique efficace ? », Sciences en partage. [En ligne]. Disponible sur: https://mediation.hypotheses.org/140. [Consulté le: 17-févr-2020].
[3] C. Brame « Effective Educational Videos », [En ligne]. Disponible sur: https://cft.vanderbilt.edu/guides-sub-pages/effective-educational-videos/. [Consulté le: 22-févr-2020].
[4] I. Amarasekara et W. J. Grant, « Exploring the YouTube science communication gender gap: A sentiment analysis », Public Underst Sci, vol. 28, no 1, p. 68‑84, janv. 2019, doi: 10.1177/0963662518786654.
[5] « Global Internet usage », Wikipedia. 23-janv-2020.
[6] P. Adenot, « Les pro-am de la vulgarisation scientifique : de la co-construction de l’ethos de l’expert en régime numérique », itineraires, no 2015‑3, juin 2016, doi: 10.4000/itineraires.3013.
[7] « List of most popular websites », Wikipedia. 05-févr-2020.
[8] « List of YouTube Demonetized Words REVEALED – YouTube ». [En ligne]. Disponible sur: https://www.youtube.com/watch?v=oFyHpBsvcK0&t=1s. [Consulté le: 22-févr-2020].
[9] « My Video Went Viral. Here’s Why – YouTube ». Disponible sur: https://www.youtube.com/watch?v=fHsa9DqmId8. [Consulté le: 22-févr-2020].
[10] D. J. Welbourne et W. J. Grant, « Science communication on YouTube: Factors that affect channel and video popularity », Public Underst Sci, vol. 25, no 6, p. 706‑718, août 2016, doi: 10.1177/0963662515572068.
[11] « Teens in the US are spending more time on YouTube than on Netflix for the first time », Business Insider France. [En ligne]. Disponible sur: https://www.businessinsider.fr/us/teens-in-us-spend-more-time-on-youtube-than-netflix-2019-10/. [Consulté le: 17-févr-2020].
[12] « Top 100 Educational YouTube Channels on Learning, Discovery & Educational Videos », Feedspot Blog, 09-août-2017. [En ligne]. Disponible sur: http://blog.feedspot.com/educational_youtube_channels/. [Consulté le: 17-févr-2020].
[13] « Tweens, teens and screens: The average time kids spend watching online videos has doubled in 4 years », Washington Post. [En ligne]. Disponible sur: https://www.washingtonpost.com/technology/2019/10/29/survey-average-time-young-people-spend-watching-videos-mostly-youtube-has-doubled-since/. [Consulté le: 17-févr-2020].
[14] « Vulgarisation », Wikipédia. 16-févr-2020.
[15] E. Benoit, « YouTube et les vidéos de vulgarisation scientifique : un outil pour développer la culture scientifique des élèves ? », p. 50.
[16] T. Jones et K. Cuthrell, « YouTube: Educational Potentials and Pitfalls », Computers in the Schools, vol. 28, no 1, p. 75‑85, mars 2011, doi: 10.1080/07380569.2011.553149.

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